Demain la greffe

un think tank indépendant
sur le don et la greffe d'organes

Tribune publiée dans le monde : et la greffe ?

Le 6 mai, le Conseil d’Etat publiait son rapport sur la révision de la loi de bioéthique. Ses conclusions
relatives à la recherche sur l’embryon et la procréation ont été très commentées par les médias.
Mais les propositions relatives au don et à la greffe d’organe sont passées inaperçues. Leur contenu est
pourtant très en deçà du nécessaire. L’objectif affiché de « renforcer la solidarité et la transparence » se
heurte en effet à des carences qui limitent sa portée.

Le rapport du Conseil d’Etat dit « souhaiter promouvoir une réflexion éthique qui soit une démarche
d’étude des données scientifiques, d’ouverture aux convictions d’autrui et aux expériences étrangères,
de remise en cause des certitudes acquises, de dialogue des consciences ». Or aucune personnalité
étrangère n’a été auditionnée, aucune recommandation provenant d’institutions internationales n’est
citée. Seuls les professionnels du prélèvement et de la greffe dont les positions sont connues pour aller
dans le sens de celles du Conseil d’Etat ont été sollicités ; aucun représentant des patients concernés n’a
été auditionné : curieuse façon d’articuler les principes à la pratique.

Le rapport n’évoque que peu les 13 000 malades en attente de greffe (tous organes confondus) en
France et pas du tout les 220 personnes qui sont mortes en 2008 faute d’avoir été greffées à temps. Or
le don d’organe n’a de sens qu’en raison de son objectif : soigner des malades et sauver des vies. Ne
considérer l’éthique que sous l’angle du don, en ignorant sa finalité, c’est faire peu de cas du devoir de
solidarité et du droit à la santé des hommes, des femmes et des enfants qui attendent une greffe.

Le Conseil d’Etat souligne la difficulté d’appliquer la présomption du consentement prévue par la loi et
propose de mieux affirmer que le don post mortem est un « devoir envers autrui ». Il n’évoque toutefois
aucune solution pour améliorer la pratique. Sur cette même base juridique, l’Espagne affiche un taux
de refus de prélèvement de 15 %, alors qu’il stagne à 30 % en France. Le rapport aurait pu s’interroger
sur les raisons de cet écart.

L’absence d’une vision prospective, rendue nécessaire par l’accroissement de la pénurie, est une autre
faiblesse. Quelque 35 000 malades souffrant d’insuffisance rénale en France suivent aujourd’hui un
lourd traitement par dialyse, jusqu’à ce qu’une éventuelle transplantation améliore leur santé, leur
qualité et leur espérance de vie. Pas moins de 3 millions de personnes souffrent d’une pathologie
rénale, dont l’évolution peut les conduire tôt ou tard à un besoin de greffe. Or, en 2008, seuls 1 563
donneurs d’organe ont été prélevés. La probabilité pour chacun d’entre nous d’avoir un jour besoin
d’une greffe est beaucoup plus forte que celle de devoir donner ses organes après la mort !

Le caractère exceptionnel de la mort encéphalique, source principale des dons d’organe, est un fait. Elle
ne concerne qu’environ 4 000 donneurs potentiels chaque année, alors qu’il en faudrait 11 000 pour
répondre aux besoins. Pour greffer plus de malades, il est donc nécessaire de recourir à de nouvelles
approches. Une solution réaliste et efficace consiste à viser une diminution du taux de refus de 10 % (de
30 % à 20 %), un triplement du nombre de greffes de rein réalisées à partir d’un donneur vivant et un
développement du prélèvement sur donneur décédé suite à un arrêt cardiaque à hauteur de 15 % du
total des transplantations rénales. Or le rapport du Conseil d’Etat aborde ces solutions avec frilosité

On vit normalement avec un seul rein et les risques encourus par un donneur vivant lors du
prélèvement sont très faibles (le risque de décès est de 1 pour 3 000). Le Conseil d’Etat recommande de
ne pas faire évoluer le cadre du don entre personnes vivantes, en raison « des risques de dérive
marchande » ou de « pression familiale ». Cette suspicion conduit à considérer chaque être qui
souhaiterait venir en aide à son prochain, au mieux comme une victime, sur laquelle on exerce une
contrainte morale inadmissible, au pire comme un coupable en puissance. Elle oublie l’ampleur des
tourments vécus par un malade en attente de greffe.

Elle ignore aussi la supériorité indiscutée des résultats des greffes de rein à partir de donneurs vivants
et les pertes de chance qu’entraîne la limitation de leur accès. Les 222 greffes de rein réalisées en 2008
à partir d’un donneur vivant (7,5 % du total des transplantations rénales en France) représentent une
performance médiocre au regard de nos voisins, comme les Pays-Bas (400) ou le Royaume-Uni (800),
dont on connaît l’attachement au respect des valeurs éthiques.

Plusieurs facteurs expliquent la faiblesse de ce taux, mais le manque de volonté politique et l’absence
totale d’information du public y sont pour beaucoup. La plupart des pays pratiquant couramment ces
greffes ont développé des stratégies volontaristes reposant sur l’information et la proposition
systématique de cette possibilité. Ils ont aussi optimisé l’organisation afin que le don se déroule dans
les meilleures conditions possible. On est loin du « parcours du combattant » vécu par les donneurs
français. Il y aurait là un motif légitime d’inquiétude « Ã©thique », mais le Conseil d’Etat ne semble pas
l’avoir perçu.

Le prélèvement de reins sur donneur décédé après un arrêt cardiaque a été autorisé en 2005 en France,
à l’issue de nombreux débats. Le comité d’éthique de l’Etablissement français des greffes, après avoir
travaillé près d’un an sur le sujet, a conclu à sa légitimité et laissé la porte ouverte aux donneurs de type
III (décès consécutif à une décision d’arrêt de soins). Il a seulement recommandé de ne pas les inclure
dès le début dans le protocole, compte tenu du contexte de l’époque (affaire Humbert, avant le vote de
la loi Leonetti). Ces donneurs sont toujours exclus, contrairement à des pays proches (Belgique,
Angleterre…).

En proposant d’inscrire cette exclusion dans la loi, le Conseil d’Etat condamne de façon définitive ce
type de prélèvements. Or l’application de la réglementation sur la limitation thérapeutique confronte
certaines équipes à la demande de don exprimée par des patients en fin de vie. En motivant sa position
par un hypothétique conflit d’intérêts, le rapport jette le discrédit sur les équipes soignantes, alors que
la loi Leonetti a rendu transparentes les décisions d’arrêt de soins et les a inscrites dans la légalité. Bref,
le Conseil d’Etat propose de clore le débat avant qu’il ait pu avoir lieu.

A l’heure où les considérations financières sont au premier plan des débats publics sur la santé,
rappelons que la greffe rénale génère de substantielles économies. La différence de coût entre la dialyse
(entre 50 000 et 80 000 euros par malade et par an) et la greffe (46 000 à 61 000 euros par année de la
greffe, de l’ordre de 8 000 euros par an ensuite) aurait mérité d’éclairer la réflexion du Conseil d’Etat.
Sur dix ans, l’économie s’élève à près de 560 000 euros par malade, pour un traitement plus efficace à
tout point de vue.

Enfin, et c’est l’aspect le plus inquiétant, le Conseil d’Etat ne manifeste aucune volonté de voir
progresser le don d’organe dans notre pays, tout en proposant des évolutions qui le feront diminuer. La
grande cause nationale, consacrée au don d’organe, devient une triste mascarade. Interdire ou limiter
l’accès à un soin lorsque la demande croît comporte le risque de voir se développer trafic et
marchandisation dans des pays pauvres et moins regardants, c’est-à-dire les réalités mêmes que l’on
veut combattre. Seule la mise en place de stratégies efficaces de lutte contre la pénurie pourra conjurer
ces dérives. Belle occasion pour la France de réaffirmer ses choix de société. N’oublions jamais les 13
000 malades en attente de greffe, pas plus que les 200 d’entre eux qui meurent chaque année faute de
greffon.

Christian Baudelot, sociologue (ENS) ;
Yvanie Caillé, université Pierre-et-Marie-Curie, membre du Conseil d’orientation de l’Agence de la
biomédecine ;
Christian Hiesse, néphrologue, spécialiste de transplantation rénale, hôpital Foch, Suresnes.
Représentant français au consortium Eulid (Euro Living Donor) ;
Michèle Kessler, professeur de néphrologie à la faculté de médecine de Nancy et chef du service du
CHU de Nancy ;
Nathalie Mesny, cadre d’entreprise, mère d’un enfant greffé du rein ;
Jean-Paul Soulillou, directeur du RTRS Centaure, directeur de l’Institut de transplantation de
Nantes ;

Alain Tenaillon, membre du Conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine.
Les signataires sont membres de Demain la greffe, groupe de réflexion qui réunit patients, proches de
patients, donneurs, professionnels du prélèvement et de la greffe, représentants de la société civile.
Issus d’horizons et d’expériences diverses, ils partagent une même vision de ce que devraient devenir le
don d’organe et la greffe en France

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  • Pr Lionel Badet
  • Christian & Olga Baudelot
  • Jacques N. Biot
  • Yvanie Caillé
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  • Dr Renaud Gruat
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  • Pr Michèle Kessler
  • Dr Moglie Le Quintrec
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  • Sylvie Mercier
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